353e d'infanterie US à Stenay
353e d'infanterie US à Stenay

Les vies gaspillées

Les vies gaspillées le jour de l’Armistice de 1918

D’après l’article : Historynet

Des soldats meurent encore le jour de l'armistice

Le 11 novembre 1918, jour de l’Armistice, les Forces Expéditionnaires Américaines (AEF) sur le front occidental en France accusaient plus de trois mille cinq cents victimes, alors que l’on savait officieusement depuis deux jours que les combats prendraient fin, et que l’on savait avec une certitude absolue à 5 heures du matin qu’ils se termineraient à 11 heures.
Près d’un an plus tard, le 5 novembre 1919, le général John J. Pershing, commandant de l’AEF,  justifiait la poursuite de la guerre devant la Commission des affaires militaires de la Chambre des représentants.

La rencontre fut amicale et respectueuse puisque les membres avaient affaire à l’officier qui avait mené l’Amérique à la victoire dans la Grande Guerre.
Cependant, un membre républicain, Alvan T. Fuller du Massachusetts, posa avec déférence une question provocatrice : “Cette question n’a pas grand-chose à voir avec l’affaire en question”, commenta Fuller, “mais je voudrais demander au général Pershing si les troupes américaines ont reçu l’ordre d’attaquer le matin du jour où, selon les termes de l’Armistice, les tirs devaient cesser…. et où les troupes devaient marcher pacifiquement vers l’Allemagne à 11 heures. Est-ce vrai ?”

Quelques jours plus tard, le député faisait parvenir à Pershing la lettre d’un électeur avec une note de couverture disant : ” J’ai été inondé de questions à ce sujet “.
La lettre avait été écrite à Fuller par George K. Livermore, ancien officier des opérations de la 167e Brigade d’artillerie de campagne de la 92e Division noire, indiquant que cette force avait été engagée depuis 5 heures du matin le 11 novembre et avait reçu l’ordre de lancer sa charge finale à 10 h 30.
Livermore déplorait ” les petites croix sur les tombes des jeunes Noirs qui sont morts d’une mort inutile ce matin de novembre “. Il a en outre décrit la perte des Marines américains tués en traversant la Meuse dans les dernières heures comme étant ” effrayante “.
Le député Fuller concluait sa lettre à Pershing en demandant ” une réponse franche et complète à la question de savoir si des vies américaines avaient été inutilement gaspillées “.

Je suivais les ordres du maréchal Ferdinand Foch

Fuller recevait la réponse de Pershing dans la semaine. En permettant aux combats de continuer, Pershing réitérait sa réponse en insistant sur le fait qu’il suivait simplement les ordres de son supérieur, le maréchal Ferdinand Foch, commandant en chef des forces alliées en France, émis le 9 novembre, lesquels stipulaient de maintenir la pression contre l’ennemi en retraite jusqu’à l’entrée en vigueur du cessez-le-feu.
En conséquence, il n’avait pas ordonné à son armée de cesser les combats même après la signature de l’armistice, dont ” je n’avais aucune connaissance avant 6 heures du matin le 11 novembre “.

La rumeur d’un armistice était apparue le soir du 7 novembre lorsque les soldats français du 171e Régiment d’infanterie près de Haudroy ont été surpris par la sonnerie d’un clairon inconnu.
Craignant d’être encerclés, ils avançaient prudemment vers le son de plus en plus fort lorsque trois automobiles émergèrent du  brouillard laissant apparaître  l’aigle impérial allemand sur le côté des véhicules.
Les Français étonnés se retrouvaient face à une délégation d’armistice allemande dirigée par Matthias Erzberger, homme politique et défenseur de la paix.
La délégation était escortée jusqu’à la forêt de Compiègne près de Paris où, dans un wagon-restaurant transformé en salle de conférence, elle était accueillie par le Maréchal Foch qui fixa ses membres avec un regard flétrissant.
Foch ouvrit la discussion par une question qui laissa les Allemands pantois. “Demandez à ces messieurs ce qu’ils veulent”, dit-il à son interprète.
Lorsque les Allemands se furent rétablis de leur surprise, Erzberger répondit qu’ils avaient été envoyés pour discuter des termes de l’armistice.
Foch les assomma de nouveau : “Dites à ces messieurs que je n’ai pas de propositions à faire.”

Pas de propositions, peut-être, mais il avait des exigences.

Maréchal Ferdinand Foch
Maréchal Ferdinand Foch

Des conditions d'armistice très dures

L’interprète de Foch lut à haute voix les conditions alliées, qui frappèrent les Allemands comme avec un marteau : tous les territoires occupés en Belgique, au Luxembourg et en France plus l’Alsace-Lorraine, détenus depuis 1870 par l’Allemagne, devront être évacués dans les quatorze jours ;
les Alliés occuperont l’Allemagne à l’ouest du Rhin ainsi que les têtes de pont sur la rive est du fleuve à trente kilomètres de profondeur ; les forces allemandes devront se retirer de l’Autriche-Hongrie, de la Roumanie et de la Turquie ;
l’Allemagne devra abandonner dans les ports neutres ou alliés, 10 navires de guerre, 6 croiseurs de combat, 8 croiseurs et 160 sous-marins.
L’Allemagne devra également fournir aux Alliés ses armements lourds, y compris 5 000 pièces d’artillerie, 25 000 mitrailleuses et 2 000 avions.
La revendication suivante plongea les délégués allemands dans le désespoir. Bien que le peuple allemand soit déjà confronté à la famine, les Alliés avaient l’intention de paralyser les transports de l’ennemi en poursuivant son blocus naval et en confisquant 5 000 locomotives, 150 000 wagons de chemin de fer et 5 000 camions.
Le traducteur continua à énumérer trente-quatre conditions, la dernière d’entre elles rendait l’Allemagne responsable de la guerre et lui demandait de payer des réparations pour tous les dommages causés.
Foch informa Erzberger qu’il disposait de soixante-douze heures pour obtenir le consentement de son gouvernement aux conditions des Alliés, faute de quoi la guerre continuerait.

Erzberger plaide pour une cessation immédiate des combats

En moyenne, 2 250 soldats de toutes les parties mouraient chaque jour sur le front occidental. “Pour l’amour de Dieu, Monsieur le Maréchal”, plaida Erzberger : ” N’attendez pas ces soixante-douze heures. Arrêtez les hostilités aujourd’hui même.” L’appel tomba dans l’oreille d’un sourd. Avant la réunion, Foch avait exprimé à son personnel son intention de “poursuivre les Feldgrauen (les soldats allemands) avec une épée dans le dos  jusqu’à la dernière minute, jusqu’à ce qu’un armistice entre en vigueur”.
Pour Pershing, l’idée même d’un armistice était répugnante. “Leur demande est une reconnaissance de faiblesse et signifie clairement que les Alliés sont en train de gagner la guerre “, a-t-il soutenu.
“Le désir de l’Allemagne n’est que de regagner du temps pour rétablir de l’ordre parmi ses forces, mais elle ne doit pas avoir l’occasion de récupérer et nous devons frapper plus fort que jamais”.
Quant aux termes de la discussion, Pershing n’eut qu’une seule réponse : “Il ne peut y avoir de conclusion à cette guerre tant que l’Allemagne n’est pas mise à genoux.”
Les Alliés français et britanniques étaient sans doute épuisés et aspiraient à la paix, mais Pershing voyait son armée prête à combattre un adversaire qui tremblait mais restait debout.
La conciliation maintenant, affirmait-il, ne conduirait qu’à une guerre future. Il voulait la reddition inconditionnelle de l’Allemagne.

Les Allemands signent l'armistice

Les Allemands cédèrent finalement et signèrent l’armistice à 5 h 10 le matin du onze. Ils reculèrent officiellement à partir de 5 heures et le firent dans le délai imposé par Foch.
L’affirmation de Pershing selon laquelle il n’avait eu aucune connaissance officielle de l’armistice imminent avant d’en être informé par le quartier général de Foch à 6 heures du matin était fallacieuse.
Le moment où les combats cesseraient était clair depuis le moment où Foch remit à Erzberger la date limite pour la réponse de son gouvernement, information dont Pershing était parfaitement au courant.
Le soir du 10 novembre et tout au long de cette nuit, les nouvelles de la fin imminente du conflit étaient confirmées à maintes reprises par les transmissions radio reçues au siège de l’AEF de Pershing à Chaumont.

L'ordre flou de Pershing laisse ses généraux dans l'incertitude

Après que le général eut été averti que la signature avait eu lieu, son ordre a simplement informé les commandants subordonnés de ce fait. Il n’a rien dit sur ce qu’ils devaient faire jusqu’à 11 heures, lorsque le cessez-le-feu entrerait en vigueur.
Son ordre laissait ses commandants dans un flou décisionnel quant à savoir s’il fallait continuer de se battre ou épargner la vie de leurs hommes dans l’intervalle.
Les généraux qui devaient interpréter cet ordre tombaient en gros dans deux catégories : les carriéristes ambitieux qui voyaient une occasion de gloire, de victoires, voire de promotions, et ceux qui croyaient qu’il était fou d’envoyer des hommes à la mort pour prendre un terrain sur lequel ils pourraient marcher en toute sécurité quelques jours plus tard.

Summerall motive ses troupes pour combattre jusqu'à la dernière minute

Général Charles P. Summerall
Général Charles P. Summerall

La mention par le député Fuller de la perte de Marines ce dernier jour faisait référence à une action ordonnée par le major général Charles P. Summerall, commandant du Ve Corps d’armée de Pershing.
Aucun doute n’avait obscurci l’esprit de Summerall quant à la façon dont tout ce discours sur l’armistice du onzième jour devrait être traité. La veille, il avait rassemblé ses officiers supérieurs et leur avait dit : ” Les rumeurs de capitulation ennemie viennent de nos succès . Par conséquent, ce n’est pas le moment de se détendre, mais plutôt de serrer les vis.”

Summerall, un Floridien de 51 ans, avait passé trois ans à enseigner à l’école de guerre avant d’entrer à West Point. À son arrivée sur le front occidental, il portait les décorations de la guerre hispano-américaine, de l’insurrection des Philippines et de la rébellion des Boxers. C’était un homme sévère, peu souriant, dit-on, brutal, qui aimait se présenter en uniforme d’avant-guerre avec de nombreuses médailles, des écharpes dorées et des épaulettes à franges suggérant un vice-roi de l’Inde plutôt qu’un simple officier américain.
Parce qu’il avait enseigné l’anglais, Summerall s’enorgueillit de posséder des qualités littéraires. “Nous ouvrons la porte par ses charnières “, a-t-il dit à ses subordonnés lorsqu’il leur a ordonné de traverser la Meuse le dernier jour de la guerre.
” Ce n’est qu’en augmentant la pression que nous pouvons provoquer la défaite de l’ennemi,….entrer en action et le bousculer “.

Pour motiver ses troupes il leur dit : ” Je ne m’attends pas à vous revoir, mais cela n’a pas d’importance. Vous avez l’honneur d’être à l’origine d’un succès définitif, donnez-vous à cela”. Parlait-il de mettre fin à son commandement  ou de prédire leur sort ?
Dans un cas comme dans l’autre, Summerall les incitait à vaincre un ennemi déjà vaincu, quel qu’en soit le coût.

Témoignage d'Elton Mackin

Parmi les soldats qui se sont précipités sur la Meuse se trouvait le deuxième classe Elton Mackin, 5e Régiment de marine. Peu après l’entrée en guerre de l’Amérique, Mackin avait lu dans le Saturday Evening Post un article sur le Corps des Marines qui incita l’enfant de dix-neuf ans à s’enrôler.
Depuis son engagement, il avait vécu 156 jours au front, à commencer par le baptême sanglant de son régiment dans la bataille du bois de Belleau.
La question de savoir s’il survivrait jusq’u au dernier jour dépendait de la décision du général Summerall et du prix humain qu’elle exigerait.

Dans les heures grises avant l’aube du 11 novembre, le régiment de Mackin sortit du Bois de l’Hospice sur la rive ouest de la Meuse. La nuit était glaciale, enveloppée de brouillard et de bruine. Les Marines essayaient de trouver leur chemin vers la rivière dans l’obscurité.
Le Génie les avaient précédés, jetant des ponts fragiles à travers la Meuse, amarrant les pontons ensemble et faisant passer des planches par-dessus.
Les premiers signes qui prouvaient que les Marines se dirigeaient dans la bonne direction étaient les corps des ouvriers du Génie tués en tentant de construire les passerelles.

Pont de bateaux à Villemontry (08)

Vers 4 heures du matin, les Marines atteignirent le premier pont, une passerelle rachitique de trente pouces de large avec une corde de guidage tendue le long de poteaux disposés à hauteur de genou. Ils ne pouvaient voir que jusqu’à mi-chemin car l’extrémité du pont  disparaissait dans la brume. Au-delà, rien n’était visible si ce n’était l’éclair des canons ennemis.
Les Marines commencèrent à s’empiler à la tête de pont en attendant les ordres. Un major souffla dans son sifflet et  monta sur le pont. Alors que les hommes s’entassaient derrière lui, les pontons commencèrent à basculer en déséquilibrant les hommes. Les gars du Génie leur crièrent de se mettre au centre de la travée avant qu’elle ne s’effondre.

Les obus pleuvent sur les Marines

Les obus ennemis commencèrent à créer des geysers qui aspergeaient les attaquants avec de l’eau glacée. Les mitrailleuses allemandes ouvrirent le feu et les obus frappèrent le bois avec un bruit de roulement de tambour. Ceux qui frappaient la chair émettaient un bruit sourd.
La travée se balançait sauvagement dans le courant fort. Mackin vit l’homme devant lui trébucher entre deux sections de ponton et disparaître dans les eaux noires.
Les balles des mitrailleuses allemandes continuaient à faire tomber les hommes des pontons, comme des canards dans une salle de tir. Pourtant, les Américains n’arrêtaient pas de s’engouffrer sur la passerelle.
À 4 h 30 du matin, les Marines et les fantassins de la 89e Division avaient pris Pouilly sur la rive est de la rivière.
Dans les 6 heures et demie restantes, ils devaient prendre d’assaut les hauteurs au-dessus de la ville et nettoyer les nids de mitrailleuses. À l’aube, Mackin vit un coureur traverser le pont au sprint. Le message du quartier général du général Summerall disait : “L’armistice est signé et prend effet à 11 h ce matin”. Encore une fois, rien n’est dit au sujet de l’arrêt des combats entre-temps.
Mackin survécut pour écrire ses mémoires. La traversée de la Meuse avait causé plus de onze cents victimes dans les heures qui précédèrent la fin de la guerre.

Un comité spécial pour enquêter

De nombreux membres du Congrès, dont Fuller, reçurent des appels de familles qui voulaient savoir pourquoi ces dépenses inutiles de vie avaient été autorisées. Le Congrès avait déjà créé un comité spécial pour enquêter sur les pratiques d’approvisionnement, la suffisance et la qualité des armes, les déchets et la greffe dans l’approvisionnement de l’AEF.
À cet organe, la Chambre décida d’ajouter un ‘Sous-comité 3’ pour enquêter sur les pertes du jour de l’Armistice. Royal Johnson, républicain du Dakota du Sud, a été nommé président. Un autre membre de la majorité, le républicain Oscar Bland de l’Indiana, et un membre minoritaire, Daniel Flood, un démocrate de Virginie composaient ce sous-comité.
L’intérêt de Johnson pour la tâche qui lui a été assignée était significatif. Il était récemment sorti de l’armée. À trente-six ans, Johnson avait pris congé de la Chambre des représentants et s’était enrôlé comme soldat dans le 313e Régiment, ” Baltimore’s Own “.
Il avait gravi les échelons, était promu premier lieutenant et avait reçu la Distinguished Service Cross et la Croix de Guerre.

Un message sans précision

Au jour de l’Armistice, le 313e avait été engagé dans près de deux mois de combat ininterrompu. À 9 h 30 ce matin-là, le régiment sortit des tranchées, les baïonnettes au canon, les fusils à bâbord, les têtes pliées. Les hommes progressaient à travers un marais dans un brouillard impénétrable vers son objectif, une tache sur la carte, Ville-Devant-Chaumont.
Son avance devait être couverte par le 311e Bataillon de mitrailleuses. Mais dans le brouillard, les mitrailleurs n’avaient aucune idée de l’endroit où diriger leur tir, et la compagnie A s’est donc déplacée dans un silence sinistre. Soudain, l’artillerie allemande se manifesta et les hommes commencèrent à tomber.

Seize minutes avant 11 heures, un coureur rattrapa la 157e Brigade, mère du 313e d’Infanterie, pour signaler que l’armistice était signé. Encore une fois, le message ne faisait aucune mention de ce qu’il fallait faire dans l’intervalle.
Le brigadier général William Nicholson, commandant la brigade, prit sa décision : ” Il n’y aura absolument aucun répit jusqu’à 11 heures “.
D’autres coureurs furent dépêchés pour faire passer le mot aux régiments les plus avancés, y compris celui de Gunther. Le 313e se  rassembla alors sous une crête appelée la côte de Romagne. Deux escouades de mitrailleuses allemandes en position sur un barrage routier regardaient, incrédules, alors que des formes commençaient à émerger du brouillard.
Gunther et le sergent Powell se sont couchés pour éviter les balles qui sifflaient au-dessus de leur tête. Les Allemands cessèrent de tirer, supposant que les Américains auraient le bon sens d’arrêter le combat avec la fin si proche. Soudain, Powell vit Gunther se lever et se diriger vers les mitrailleuses. Il cria pour que Gunther s’arrête. Les mitrailleurs lui firent signe de revenir, mais Gunther continua d’avancer. L’ennemi tira à contrecœur une salve de cinq coups. Gunther fut frappé dans la tempe gauche et mourut sur le coup. L’ordre du jour du général Pershing consignera plus tard Henry Gunther comme étant le dernier Américain tué à la guerre.

Les officiers passent à la question

Pour demander aux officiers pourquoi des hommes avaient été exposés à la mort le dernier jour de la guerre, les républicains du sous-comité 3 engagèrent un avocat de l’armée récemment retraité, Samuel T. Ansell. Âgé de quarante-cinq ans, Ansell avait été juge-avocat général par intérim pendant la guerre et avait quitté l’armée  pour accepter le poste au Congrès pour un salaire substantiel de vingt mille dollars par an.
Son premier geste fut de faire en sorte que tous les officiers supérieurs qui avaient dirigé des troupes sur le front occidental répondent à ces questions :

  • À quelle heure, le matin du 11 novembre 1918, avez-vous été informé de la signature de l’armistice ?
  • Quels étaient vos ordres et ceux de votre commandement en ce qui concerne les opérations contre l’ennemi immédiatement avant et jusqu’au moment de la notification de la signature de l’Armistice, après la notification et jusqu’à 11 heures ?
  • Après réception d’une telle notification, votre commandement ou une partie de celui-ci a-t-il continué à se battre ? Si oui, pourquoi et avec quelles victimes ?
  • Est-ce que votre commandement ou une partie de celui-ci a continué le combat après 11 heures ?
  • Si oui, pourquoi et avec quelles pertes

Des officiers au comportement mitigé

Ansell s’est avéré un enquêteur respirant le feu, cachant mal sa conviction que des vies ont effectivement été gaspillées le dernier jour de la guerre.
Parmi les premiers témoins qu’il appela, il y eut le chef des opérations de Pershing, le brigadier général Fox Conner. Fier, beau et rusé, Conner admit que, conformément à l’ordre de Foch de maintenir la pression, une armée américaine, la 2e sous la direction du lieutenant général Robert Lee Bullard, avait en fait déplacé un assaut initialement prévu pour le 11 novembre au 10 novembre  pour contrecarrer l’idée parmi les troupes que l’armistice était déjà  signé  et  pour influencer les délégués allemands à signer .

Tous les commandants n’étaient pas d’accord pour dire qu’il fallait faire pression sur l’Allemagne pour la forcer à signer.
Pendant des jours, les Allemands ne pouvaient plus attaquer les Alliés et n’ont mené que des actions d’arrière-garde lorsque des Américains sont tombés.
Le matin de l’armistice, le commandant de la 32e Division, le major général William Haan, reçut un appel téléphonique de son subordonné commandant la 63e Brigade demandant la permission d’attaquer afin de redresser une bosse sur son front. Haan répondit qu’il n’avait pas l’intention de risquer la vie des hommes sur la dernière matinée de la guerre pour mettre de l’ordre sur une carte.
Le 32e n’a pas lancé d’attaques pendant que les hommes de Haan attendaient et n’ont subi que des pertes dues aux tirs d’artillerie.

La propreté au-dessus de la survie !

Généraux Pershing et Wright
Généraux Pershing et Wright

Les commandants des zones sensibles ont néanmoins réussi à trouver des raisons d’avancer. Stenay était une ville tenue par les Allemands sur la rive est de la Meuse.
Le commandant de la 89e Division, le major général William M. Wright, décida de prendre Stenay parce que la division avait été en ligne pendant une période considérable sans installations de bain appropriées, et il se rendit compte que si l’ennemi était autorisé à rester à Stenay, les troupes seraient privées des installations de bain probables là-bas .
Ainsi, plaçant la propreté au-dessus de la survie, Wright envoya une brigade pour prendre la ville. Alors que les doughboys passaient par Pouilly, un obus de 10,5 cm atterrit au milieu d’eux, tuant une vingtaine d’Américains.
Tout compte fait, la division de Wright subit 365 pertes, dont soixante et un morts dans les dernières heures de la guerre. Stenay serait la dernière ville prise par les Américains pendant la guerre.
En l’espace de quelques jours, ils auraient pu s’y rendre pacifiquement plutôt que de payer le passage avec leur sang.

Bland, l’autre républicain de la sous-commission 3, entra rapidement dans le vif du sujet lorsque son tour fut venu d’interroger le général Conner.
Connaissez-vous une bonne raison, demanda Bland, qui explique pourquoi l’ordre aux commandants n’a pas été que l’armistice était signé pour prendre effet à 11 heures et que les hostilités ou les combats réels devraient cesser dès que possible afin de sauver des vies humaines ?
Conner a admis que les forces américaines ” n’auraient pas été mises en danger par un tel ordre, si c’est ce que vous voulez dire “.

Bland demanda alors, au sujet de la notification de Pershing à ses armées qui disait simplement que les hostilités devaient cesser à 11 heures, ” Est-ce que l’ordre laissait aux commandants le soin d’arrêter de tirer avant  11 heures ou de continuer à tirer jusqu’à 11 heures ?”

Combien d'officiers supérieurs ont perdu la vie le 11 novembre 1918 ?

Bland a ensuite demandé : ” Compte tenu du fait que nous avions des généraux ambitieux dans cette armée, qui combattaient sérieusement nos ennemis et qui détestaient s’abstenir de le faire…. aurait-il été préférable, dans ces circonstances, d’inclure dans cet ordre que les hostilités cessent dès que possible avant 11 heures ?” Conner répondit fermement : “Non, monsieur, je n’en ai pas la moindre idée”.

“Combien de généraux avez-vous perdus ce jour-là ?” Bland a continué. Aucun, répondit Conner. “Combien de colonels avez-vous perdus ce jour-là ?” Conner : “Je ne sais pas combien ont été perdus.” “Combien de lieutenant-colonels avez-vous perdus ce jour-là ?” Conner : “Je ne connais pas les détails de tout cela.
” Je suis convaincu, poursuit Bland, que le 11 novembre, aucun officier de très haut rang n’a pris le risque de perdre sa propre vie….”.

Conner, visiblement bouillonnant, rétorqua : ” La déclaration que vous avez faite, je pense, Monsieur Bland, est extrêmement injuste, et, en tant qu’officier qui était là-bas, je vous en veux au plus haut degré possible.

Bland riposta, ” je n’aime pas le fait que ces vies ont été perdues et le peuple américain n’aime pas le fait que ces vies ont été perdues ; et nous avons le droit de remettre en question le motif, si nécessaire, des hommes qui ont causé cette perte de vie’.”
Après cela, Conner a été congédié.

Le général Liggett passe sur le gril !

Le deuxième officier le plus haut gradé de l’AEF, le lieutenant général Hunter Liggett, qui avait commandé la Première Armée, fut également appelé à témoigner.
Interrogé par l’avocat du sous-comité, Liggett a admis à Ansell que le seul mot transmis aux troupes était que ” l’armistice était signé et que les hostilités cesseraient à 11 heures, heure de Paris “.
Ansell força Liggett à reconnaître que les ordres du quartier général de l’AEF avaient laissé les commandants subalternes dans l’ignorance quant à leur prochaine ligne de conduite.
Le vieux général corpulent a transféré la responsabilité au commandant sur place ” pour juger très rapidement de ce qui se passait dans son voisinage immédiat “.
Couplant l’ordre de ” continuer à se battre ” de Foch et l’ordre de Pershing de le relayer, Ansell dit : ” J’ai du mal à imaginer l’autorité d’un commandant de division en vertu des termes de ces deux ordres qui laissent le choix d’avancer ou de cesser le tir sur son front avant 11 heures, quelque soit l’heure à laquelle il a reçu l’avis annonçant l’armistice “.
Ansell ajouta, supposons qu’un tel commandant conclut : “je suis dans une situation où je peux renoncer à l’attaque, et je vais le faire et sauver la vie des hommes”.
“Considéreriez-vous qu’il a fait preuve de mauvais jugement ?” Liggett n’ hésita pas : “Si j’avais été commandant de division, je n’aurais pas fait ça.”

À ce moment-là, le président de la sous-commission, Johnson, interjeta une expérience personnelle en France peu après l’armistice alors qu’il était en visite dans un hôpital : ” J’ai rencontré plusieurs officiers subalternes qui ont été blessés le 11 novembre, certains grièvement. Sans exception, ils interprétaient les ordres qui les forçaient à faire une attaque après l’armistice comme un meurtre et non comme une guerre.
Lorsqu’on lui a demandé s’il avait déjà entendu de telles accusations, Liggett  répondit : ” Non !” Sur ce, lui aussi fut congédié.

Général Hunter Liggett

Un espoir suivi d'horreur !

Le brigadier général John Sherburne, ancien commandant d’artillerie de la 92e Division noire qui était revenu à la vie civile, a fourni aux membres républicains du sous-comité ce qu’ils voulaient entendre : le point de vue d’un officier non professionnel décoré qui ne se sentait pas obligé d’absoudre l’armée.
Officier blanc de la division, Sherburne décrit la joie que ses troupes noires ont exprimée vers minuit le 10 novembre, lorsque le ciel fut illuminé par des fusées, des bougies romaines et des fusées éclairantes que les Allemands envoyaient.

Cette preuve convaincante de l’approche de la fin a été confirmée, a-t-il dit, lorsque, peu après minuit, un message sans fil intercepté depuis la tour Eiffel fut signalé : les termes de l’armistice avaient été acceptés et… les hostilités allaient cesser.
“Je me souviens que dans ce message sans fil, l’heure de 11 heures était indiquée comme étant l’heure de la cessation des hostilités”. Le témoignage de Sherburne indiquait clairement que les hommes dans les tranchées avaient des informations persuasives près de douze heures à l’avance que la fin de la guerre était proche, bien que Pershing ait dit au Congrès qu’il n’avait pas su que l’armistice était sur le point d’être signé jusqu’à ce qu’il en soit informé à 6 heures du matin.

À l’insistance d’Ansell, Sherburne décrivit ensuite comment lui et son officier des opérations, le capitaine George Livermore, auteur de la lettre au député Fuller, avaient téléphoné au quartier général de la division, du corps et de l’armée pour savoir, puisque l’Armistice avait été signé, si une attaque par le 92e du Bois de Voivrotte prévue pour ce matin-là pouvait être annulée.
Tout au long de la chaîne de commandement, Sherburne a témoigné,  que l’ordre était maintenu. Ansell a demandé l’effet de cet ordre sur les troupes. “Je ne peux pas exprimer l’horreur que nous avons tous ressentie “, dit Sherburne.
“L’effet de ce que nous considérions tous comme un gaspillage de vie absolument inutile était tel que je ne pense pas qu’une des unités que je commandais ait pris part à une quelconque manifestation de l’Armistice, et n’ait même pas réussi à se réjouir de la fin de la guerre”.

Pershing mis en cause par Sherburne

“Qui, selon vous, est responsable de ces combats ?” demanda Ansell. Sherburne hésita. « C’est un très mauvais témoignage de se baser sur des ragots “, a-t-il répondu. Ansell l’a poussé à continuer. Sherburne  dit alors :

« Je ne peux pas penser que le général Pershing a personnellement ordonné cette attaque ou qu’il en est directement responsable. S’il y a une obligation ou une responsabilité à son égard, c’est de ne pas avoir arrêté ce qui avait déjà été planifié….
Notre armée était tellement verrouillée que les commandants de division et de brigade et même de corps d’armée étaient terrorisés et craignaient ce commandement omniprésent de l’état-major général qui siégeait à Chaumont…
Ils ne considéraient pas la vie humaine comme une chose importante. En cela, dans une certaine mesure, ils avaient raison ; on ne peut pas s’arrêter pour peser dans la guerre ce qu’une chose va coûter si la chose en vaut la peine, si elle est essentielle.
Mais je pense que le 9, le 10 et le 11, ils étaient arrivés assez près de la fin de la guerre et le savaient. Mais ils étaient impatients de gagner le plus de terrain possible.
Ils avaient établi ce qui, à mon avis, est une fausse norme d’excellence des divisions selon la quantité de terrain gagné par chaque division….
C’était un peu comme un enfant à qui on avait donné un jouet qui l’intéresse beaucoup et qu’il sait que dans un jour ou deux il va lui être enlevé et il veut donc utiliser ce jouet jusqu’au bout.
Un grand nombre d’officiers de l’armée prenaient soin de leurs hommes. Mais il y avait certains cas très flagrants de condition opposée, et surtout parmi ces théoriciens, ces hommes qui considéraient toute cette affaire comme, peut-être, une partie d’échecs, ou une partie de football, et qui ont été retirés du contact réel avec les troupes.”

« Il était », poursuit Sherburne, » difficile pour les officiers consciencieux de résister aux directives de Chaumont, aussi discutables soient-elles. »
Il admit que même dans une situation où sa propre vie était en jeu, il aurait cédé à la pression de l’état-major général. « Je préférerais de loin avoir été tué », a-t-il dit au sous-comité, « plutôt que d’être rétrogradé. »

Des pertes dans plusieurs divisions

La 33e était une autre division engagée jusqu’à la dernière minute. Comme l’historien de l’unité a décrit plus tard le dernier jour :
“Notre radio régimentaire avait capté suffisamment de messages interceptés pendant les premières heures du matin pour s’assurer que l’Armistice avait été signé à 5 heures ce matin-là ; et le fait que l’attaque pré-arrangée avait été lancée après la signature de l’Armistice….a provoqué de vives critiques à l’égard du haut commandement de la part des troupes engagées, qui considéraient la perte de vies américaines ce matin-là comme inutile et proche du meurtre.

Selon le brigadier général John Sherburne, de nombreux commandants ” avaient hâte de gagner le plus de terrain possible ” avant que l’armistice ne prenne effet. (Archives nationales)
La 81e Division a reçu le coup le plus dur ce matin-là. L’un des commandants de son régiment avait dit à ses hommes de se mettre à l’abri pendant les dernières heures, mais son ordre a été annulé. À quarante minutes de la fin de la guerre, les troupes ont reçu l’ordre d’avancer immédiatement. La division a fait état de 461 victimes ce matin-là, dont soixante-six tués.

L’armée a prétendu avoir affecté une centaine de commis à la demande du sous-comité pour déterminer le nombre de victimes de l’AEF qui sont tombées entre minuit le 10 novembre et 11 heures le lendemain matin.
Les chiffres fournis par le bureau de l’adjudant général ont fait état de 268 morts au combat et de 2 769 blessés graves.
Ces chiffres, cependant, n’incluent pas les divisions combattant avec les Britanniques et les Français au nord de Paris et ne correspondent pas aux rapports des unités individuelles sur le terrain ce jour-là.
Le décompte officiel de la 28e Division, par exemple, n’a montré aucun homme tué au combat le 11 novembre, mais dans les rapports individuels des officiers de terrain demandés par le sous-comité, le commandant d’une seule brigade de la 28e division a déclaré pour cette date : ” Mes pertes ont été de 191 tués et blessés “.
Si l’on tient compte des divisions non déclarées et d’autres informations sous-déclarées, un total consolidé de 320 Américains tués et plus de 3 240 blessés graves dans les dernières heures de la guerre est plus proche de la réalité.

Un rapport controversé contesté par les démocrates

À la fin de janvier 1920, le Sous-comité 3  termina ses audiences. Le président Johnson rédigea le rapport final, parvenant à un verdict selon lequel un ” abattage inutile ” avait eu lieu le 11 novembre 1918.
Le Comité spécial sur les dépenses pendant la guerre, présidé par le député W.J. Graham, a d’abord adopté ce projet.

Le membre démocrate du sous-comité 3, Flood,   déposa cependant un rapport signifiant que la version de Johnson diffame le leadership victorieux de l’Amérique, en particulier Pershing, Liggett et Bullard.
Flood voyait une manœuvre politique dans cette démarche. Le pays était entré en guerre sous un président démocrate. En 1918, les républicains avaient pris le contrôle du Congrès, et c’est eux qui avaient lancé l’enquête sur le jour de l’Armistice. À la fin de l’enquête, les espoirs de Wilson pour l’entrée des États-Unis dans la Société des Nations s’effondraient rapidement et les critiques se demandaient pourquoi l’Amérique était partie à la guerre.
Flood soupçonnait que les républicains du sous-comité gonflaient la signification des événements du dernier jour, ” essayant de trouver quelque chose à critiquer dans notre armée et la conduite de la guerre par notre gouvernement “. Le comité, prétendait-il, avait ” tendu la main aux témoins qui avaient des griefs…. » Quant à Ansell, qu’il a appelé à maintes reprises ” l’avocat de 20 000 $ “, il avait ” été autorisé à intimider les officiers de l’armée “.
Flood laissa également entendre que l’avocat avait quitté le ministère de la Guerre, ” avec qui il est connu pour s’être disputé “, à cause d’un différend.
Enfin, Flood soutint que le comité spécial avait été créé pour enquêter sur les dépenses en temps de guerre et non pour débiner les généraux sur des ” questions qui ne relèvent pas de la compétence du comité “.

La dissidence de Flood, avec son anneau patriotique, trouva suffisamment de sympathie pour que le président Graham fasse un pas rarissime. Il rappela le rapport Johnson déjà approuvé. Trois heures de débat acrimonieux suivirent.

En fin de compte, Johnson céda à la pression pour ne pas retarder davantage le rapport du comité spécial et, le 3 mars, il supprima de son projet toute imputation selon laquelle des vies américaines avaient été sacrifiées inutilement le jour de l’Armistice.
Le New York Times adopta le point de vue de Dan Flood, éditorialisant que l’accusation de gaspillage de vies ” a impressionné un grand nombre de civils .
Mais l’opinion civile selon laquelle il n’aurait pas dû y avoir de coup de feu si le commandant d’une unité avait été avisé de la signature est, bien sûr, intenable…..les ordres sont des ordres”.

Des vies gaspillées dans toutes les armées

Les forces américaines n’étaient pas seules à lancer des assauts le dernier jour. Le haut commandement britannique, toujours en retraite à Mons pendant les premiers jours de la guerre en août 1914, jugea que rien ne pouvait être plus approprié que de reprendre la ville le dernier jour de la guerre.
Les pertes de l’Empire britannique le 11 novembre s’élevaient à environ 2400 hommes. Le commandant français du 80e Régiment d’infanterie reçut ce matin-là deux ordres simultanés : l’un de lancer une attaque à 9 heures, l’autre de cesser le feu à 11 heures.
Le total des pertes françaises au dernier jour était estimé à 1 170 hommes.

Les Allemands, dans la posture toujours périlleuse de la retraite, ont subi quelque 4 120 pertes. Les pertes de tous les côtés ce jour-là approchaient les onze mille morts, blessés et disparus.

En effet, le jour de l’Armistice comptait plus de dix mille pertes subies par toutes les parties le jour J, avec cette différence : Les hommes qui ont pris d’assaut les plages de Normandie le 6 juin 1944, risquaient leur vie pour gagner une guerre.
Les hommes qui sont tombés le 11 novembre 1918 ont perdu la vie dans une guerre que les Alliés avaient déjà gagnée. Si le maréchal Foch avait tenu compte de l’appel de Matthias Erzberger le 8 novembre pour mettre fin aux hostilités pendant que les pourparlers se poursuivaient, quelque 6600 vies auraient probablement été sauvées.

À la fin, le Congrès n’a trouvé personne responsable des morts survenues au cours de la dernière journée, même les dernières heures de la Première Guerre mondiale.
Bientôt, sauf au sein de leurs familles, les hommes qui sont morts pour rien alors qu’ils auraient pu connaître une longue vie ” seraient tous oubliés “.

SourceHistorynet

Joseph E. Persico est l’auteur de nombreux livres, dont Secret War : FDR et World War II Espionage (Random House Trade, 2001). Cet article est basé sur son livre récemment publié, Eleventh Month, Eleventh Day, Eleventh Hour : Armistice Day 1918, World War I and Its Violent Climax (Random House, novembre 2004).

Crédit photos :

  • Signal Corps NARA
  • wikimedia common
  • Steven Girard
  • ABMC 1933

Texte tiré du site Stenay.home.blog

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