Crash d'un Stirling MK3 en Argonne le 18 novembre 1943
Article "L'union l'Ardennais" publié le dimanche 13 juin 2010.
Document transmis par Guy Bigorgne
Le 18 novembre 1943, au lieu-dit le « ravin-sec », proche de celui des Sept fontaines, à 8 heures du soir, le Stirling MK3 du 622 Squadron de la RAF basé à Middenhall dans le Suffolk s’écrasait contre un chêne à flanc de ravin. Sa cargaison de bombes explosant dans la chaleur de l’incendie retardait l’approche. L’explosion avait été entendue à Lachalade.
Intervention du maire de Lachalade et des gendarmes allemands
Le maire, M. Marizier, en compagnie d’un garde forestier, était requis par les gendarmes allemands pour le constat et la suite à donner à ce crash. Sept corps furent retirés, un seul identifié, celui de Conroy. Les six autres corps étaient ceux des deux sergents mitrailleurs, Ough et Thomas, le sergent Sly, le navigateur Smith, le sergent Richard.
Sans pouvoir leur donner une bénédiction à l’église, sur ordre impérieux des Allemands, les restes étaient inhumés au cimetière de Lachalade dans une fosse commune après leur remise dans des cercueils. Quatre tombes identifiées sont visibles à ce jour dans le fond du cimetière.
Les archives parlent
Après des recherches dans les archives de la RAF, Hervé Chabaud, dans un article publié dans l’Union du jeudi 12 octobre 2000, rappelle que c’est bien huit hommes d’équipage qui se trouvaient dans l’avion. Le nom du huitième est enfin donné. Il s’agit du sergent Bob Harper, seul survivant, qui réussit à s’extraire de l’avion et sauter en parachute, alors que la queue de l’appareil était en flammes. À partir de là, débute dans la région une odyssée exceptionnelle.
Sauvé par la solidarité.
Survivant mais blessé, Harper est secouru en premier par un bûcheron de Varennes, M.Zunino, qui le retrouve au bord de la départementale D8.
Le rescapé est blessé à la hanche, car il a chu sur le toit d’un blockhaus de la guerre de 14. Zunino le transporte sur son vélo et le cache dans une hutte à proximité des abris du Kronprinz, là où se trouve un compère de travail, avant d’aller chercher un médecin, le Docteur Valiadis.
Après examen, on le cache à proximité, sous une couche de ronces, dans une tranchée. Bien leur en a pris, car 20 minutes environ après, les Feldgendarmes se présentent à la hutte, à la recherche des aviateurs.
Intervient alors le fils du docteur, Pierre Valiadis. Le soir, c’est lui qui assure son transport avec sa Celta-quatre en le mettant dans le coffre de la voiture jusqu’à chez son père qui lui donne les premiers soins.
Ce dernier le fera également manger et recueillera des précisions sur les autres occupants avant le crash, le mitrailleur arrière tué et le pilote blessé, l’ingénieur de vol qui lui a dit de sauter.
De là, il sera emmené pendant deux jours dans une maison inhabitée près du pont de Varennes. C’est André Collignon, FFI de l’Argonne, qui va le prendre en charge.
De là, Margot, un résistant, le conduit jusqu’à Chatel-Chéhery, puis chez le curé de Manre, puis à Sommepy-Tahure dans la famille Thirion.
On cherche maintenant à lui faire retrouver la filière qui lui permettra de rejoindre la Grande-Bretagne. Il passe par Sillery et de là prend un train pour Reims le 7 ou 8 décembre 1943, avec d’autres aviateurs et un radio, puis arrive à Fismes.
Arrêté sur dénonciation
Là, le Commandant Pottier se tient avec son opérateur radio pour organiser le rapatriement des aviateurs alliés tombés en France, et trouver des terrains d’atterrissage pour les Lysanders. Le malheureux, chef du réseau Possum, sera arrêté et se suicidera dans sa prison.
À Fismes, Bob Harper, sera à son tour pris dans une opération menée par la Gestapo le 31 décembre 1943, en même temps que d’autres patriotes, sur dénonciation.
La belle chaine de solidarité s’arrête. Il ne dira rien de ses sauveurs successifs, en dépit d’interrogatoires musclés. On le retrouve à la prison de Châlons-sur-Marne. Un résistant de Fismes, qui a partagé la même cellule, se souvient très bien de lui.
Il n’est pas considéré comme un prisonnier de guerre ordinaire. On le transfère à Fresnes. Le 15 août, il est embarqué avec des résistants français et 168 aviateurs alliés dans un convoi parti de Pantin pour Buchenwald. Dans ce même train, on a les camarades du réseau Orgerus-Bazainville.
Dans les camps de prisonniers
A la mi-octobre 1944, les aviateurs prisonniers sont transférés au Stalag dit Luft-3 à Sagan, en Pologne. Ce stalag, dirigé par la Luftwaffe, s’est rendu célèbre par les tentatives d’évasion qui s’y sont produites. Soixante treize tenteront l’évasion mais trois seuls ne seront pas repris, et cinquante seront fusillés sur l’ordre d’Hitler. Bob Harper sera libéré et retrouvera la Grande-Bretagne en 1945.
Épilogue
On note au passage la motivation toute fraternelle qui a fabriqué une chaine de soutien pour celui, rescapé d’une catastrophe aérienne, qui était venu soutenir, dans l’Europe occupée, ceux qui se dressaient contre l’occupant.
Au cours de ces temps difficiles, ceux qui les ont subis n’oublient pas le réconfort ressenti en pays occupé en entendant la nuit le passage des avions alliés et le souffle de la liberté que ce passage apportait.
Le lendemain de l’ensevelissement, malgré l’ennemi, la fosse était couverte de fleurs. Des membres de sa famille, dont son fils Thierry, sont venus reconnaître l’emplacement de sa chute. On connaît l’année de sa mort : 1977.
In Memoriam
Le 21 mai 2003, une stèle édifiée par le Souvenir Français en l’honneur des aviateurs alliés tués est inaugurée, proche du cimetière de La Forestière.
Voir la fiche détaillée en suivant ce lien : Vers fichier pdf
Rapport du maire de Lachalade, Monsieur Marizier
Chute d'un avion anglais le 18 november 1943
Le 18 novembre 1943 à huit heures du soir, un avion anglais attaqué par un chasseur allemand s’est écrasé au sol au lieu-dit « Ravin-Sec » : suivant les consignes que j’ai réçues, j’ai signalé l’accident à la gendarmerie française de Varennes et à la gendarmerie allemande à Verdun.
Les gendarmes allemands arrivés une heure après l’appel téléphonique voulaient qu’on les conduisent sur le lieu de la catastrophe, mais l’avion était chargé de bombes qui éclataient par intervalle et elles n’ont pas permis d’approcher.
Les gendarmes allemands ont passé la nuit chez moi. Le lendemain, par ordre du lieutenant allemand, je suis parti à la recherche de l’avion accompagné du garde Maunier (Robert).
À dix heures, je trouve l’appareil ou plutôt les restes, triste trouvaille, vision d’horreur, il y avait auprès de l’avion le cadavre de deux ou trois aviateurs presque entièrement carbonisés ; à l’arrière, un parachute presque intact taché de sang.
Au pied d’un chêne, le cadavre décapité d’un homme que nous avons pu identifier. Plus bas, des restes paraissant être ceux de deux hommes. Plus à gauche, le tronc et une cuisse d’un autre aviateur.
À mon avis, quatre (et peut-être plus) malheureux sont là dans ce coin sombre d’Argonne.
Le 19, quatre soldats allemands sont arrivés pour garder les restes de l’avion. L’officier allemand m’a menacé naturellement d’une punition si on touchait à l’appareil ou aux cadavres.
Le 21, deux officiers allemands arrivent chez moi pour me prier de les conduire sur le lieu, soi-disant pour rendre les honneurs. J’ai prié les officiers de vouloir bien faire inhumer les restes de ces braves hommes dans le cimetière communal de Lachalade et cela le plus tôt possible.
Ce n’est que le 23 à quinze heures, qu’un camion arrive avec quatre cercueil et, accompagné de Labaux (Adrien), garde champêtre, Demoulain (Louis) nous partons par un temps brumeux et pieusement, sous les yeux des Allemands, nous déposons les restes déchiquetés dans les cercueils.
Nous arrivons au cimetière, il faisait nuit noire, on entendait seulement les pleurs des femmes venues prier avec le curé qui auparavant avait demandé de rentrer les corps à l’église, ce qui lui a été refusé.
D’une façon brutale l’officier allemand m’a ordonné de défendre de déposer les fleurs sur la fosse commune qui a dû être refermée immédiatement et laquelle était fleurie admirablement le lendemain.
J’ai fait des croix de bois provisoires. Un seul corps a pu être identifié, c’est Conroy (Canadien) ; un papier a été trouvé ainsi conçu : « certified that the deficiences and other daims are recorded in the accounting section as chargeable to number N 42457 Rank P ./. OT Name Riencarvps Trade Petot Wate 13 1143″ » (?) « Accountant Officer RA Station Stralishall »
Un autre bout de papier portait le nom de Richard, tout cela entre les mains d’un officier allemand.